Nouveau venu sur le forum, j'ai eu envie de livrer mon premier petit commentaire sur... le dernier épisode de la série.
A cela deux raisons : primo, j'ai commencé mon revisionnage intégrale de la série de Granada par la saison 4 en raison de l'état de santé déclinant de Jeremy Brett qu'il m'est pénible de voir et je ne voulais pas terminer ma redécouverte par ces épisodes-là. Autant, en quelque sorte (et même si le mot est dur) "expédier" cette triste saison avant de revenir en amont avec les saisons précédentes.
Triste saison dans tous les sens du terme, d'ailleurs car, outre la maladie de son interprète, c'est aussi qualitativement la moins réussie : histoires peu prenantes qui laissent peu de place à la science déductive du plus scientifique des détectives, grandes libertés prises avec le contenu des nouvelles de Conan Doyle et exercices de style visuel aussi outranciers que vains, particulièrement chez le réalisateur monomaniaque Peter Hammond (qu'est-ce qu'il peut m'agacer celui-là
)et ses obsessions pour les jeux de miroirs répétitifs et les cadrages improbables à la limite du supportable pour mes yeux.
N'est pas Orson Welles qui veut, hein ! (non mais c'est vrai quoi
)
Soit.
J'en arrive à la seconde raison de ce commentaire : non seulement
La Boîte en carton conclu de manière aussi satisfaisante que ténébreuse cette dernière saison bancale mais aussi l'intégralité de la série elle-même mais cet épisode m'a aussi beaucoup interpellé et pas seulement parce qu'il s'agit du dernier et que, en passant, Jeremy Brett se révèle ici en (relative) meilleure forme que lors des épisodes précédents de la saison.
Bien que son intrigue soit très classique et aussi canoniquement holmésien qu'il est possible de l'être, son absolue noirceur, son pessimisme, son ambiance glacée (et pour cause puisque nous sommes dans des paysages enneigés d'hiver) et, in fine, la réflexion qui découle des constatations philosophiques de Holmes (voir le monologue finale) donne à cet épisode pour moi des allures de requiem et, plus troublant encore, de constat d'échec, un échec non pas tant factuel (Holmes a généralement l'habitude de triompher) mais, plus sournoisement, philosophique. C'est du moins le sentiment que j'en ai gardé.
Quel échec ?
Celui de la raison face à la déraison. De l'ordre face au chaos. De l'intelligence face à la folie et l'absurdité du monde et des hommes.
Sherlock Holmes aura consacré toute sa vie à l'exercice du raisonnement, de l'analyse, de l'observation, du visible, du qualifiable et du quantifiable, en homme de son siècle si attaché et naïvement confiant aux progrès de la science toute puissante. Et ses aventures forment ainsi une sorte de saga quasi héroïque où s'affrontent non pas le Bien et le Mal selon la tradition manichéenne de la littérature populaire mais entre la rationalité et l'irrationalité ou pour le dire autrement : entre civilisation et pulsions primaires (primales ?). C'est un combat qui parcours toute l'histoire de l'humanité en générale et cette période victorienne en particulier, tiraillée entre positivisme scientifique et vieux démons de la passion (les 7 péchés capitaux en somme ^^) toujours vivaces (et probablement à jamais) dont Conan Doyle fait de son détective hyper-rationnel à la fois l'acteur et le témoin consterné autant que blasé.
Et, lorsque je vois, à la fin de cet épisode - qui, pour la série Granada du moins (car nous savons que dans le Canon Doylien, La Boîte en carton n'est pas la dernière histoire) pourrait aussi représenter la fin de la carrière de Holmes ou du moins la fin de son histoire - quand je vois disais-je Holmes (et Watson) au bord de cette rivière gelée en train de formuler sans ambiguïté sa perplexité avec le monologue (simplifié dans la série) déjà évoqué, je ressens un frisson presque métaphysique mais aussi (et surtout) une sorte de fatalisme mêlé d'acceptation . "
A quelle fin tend ce cercle de misère, de violence et de peur ?" s'interroge Holmes, l'homme de raison de ce XIXè siècle qui a pour vocation et acte de foi le progressisme sous toutes ses formes ? L'homme du 21iè siècle que je suis - comme nous le sommes tous - ne peut s'empêcher d'esquisser un semblant de sourire (un rictus plutôt) face à cette interrogation aussi légitime que candide. C'est que Sherlock Holmes (ou Conan Doyle, c'est du pareil au même en fait) et ses contemporains n'ont pas encore la connaissance de cette trinité de l'absolue destruction que seront, vers le milieu du 20iè siècle, la Seconde Guerre Mondiale, la Shoah et Hiroshima/Nagasaki.
Bref, Holmes n'avait encore rien vu !
"Il doit bien tendre à une certaine fin, sinon notre univers serait gouverné par le hasard, ce qui est impensable."Mais, là encore, Sherlock Holmes/Conan Doyle ignorait tout de la physique quantique et ses théories à peine concevables où l'indéterminisme met à mal toutes nos certitudes scientifique de jadis, de même que la mise à mort du Dieu anthropomorphique et a priori bienveillant des religions monothéistes.
En définitive, c'est plutôt à Shakespeare qu'il faut revenir et à sa célèbre tirade dont la pertinence est plus que jamais d'actualité : "
Une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien" (franchement, je n'ai jamais trouvé meilleur résumé de notre monde. William, t'es décidément le meilleur
)
Mais si Holmes (et ses contemporains) connaissait forcément ces mots du grand dramaturge anglais, son positivisme (au sens scientifique et paradoxalement mêlé à son pessimisme) propre à la révolution industrielle ne pouvait encore s'en accommoder, encore moins l'accepter.
Tout ça pour dire que cet épisode et sa fin en particulier résonne de manière encore plus terrible à nos oreilles contemporaines qu'à celles des contemporains de Sherlock Holmes.
Car beaucoup d'entre nous, je pense, ont fini par accepter qu'à la question fondamentale (autant qu'insoluble) de Holmes sur le "pourquoi ?", la réponse est : "parce que" (oui, je sais... ça ne nous avance guère
)
Bon... cela dit... Fi ! de la philosophie, de la métaphysique et de la sinistrose !
Ca ne va pas m'empêcher de prendre plaisir, maintenant, à me refaire les trois première saisons !
La vie continue. Holmes/Jeremy Brett se voit ainsi ressuscité, rajeunit et c'est reparti pour un tour !
The Show Must Go On !
Et comme disait Michael Caine dans la savoureuse parodie
Without a Clue : "Holmes Sweet Holmes"