Ah j'aime beaucoup ce film !
Tout d'abord, en effet, l'esthétisme est très soigné. Dans ce film, il y a de l'Art ( l'Art à la fois gloire des apparences et révélateur de l'âme - cf O. Wilde...) partout, avec un petit goût à la Française.
Il faut dire que la subtilité va jusque dans la truanderie car Milverton est un génie du crime (Holmes le dit dans la nouvelle en tout cas), un adversaire à la hauteur !
Que ce soit dans la nouvelle ou dans le film, Holmes est un peu désemparé face à cet ingénieux malfrat qui a trouvé le bon plan pour se remplir les poches tout en brisant des vies. Milverton ne fait que lancer la pomme de la tentation dans la société victorienne et de faibles âmes succombent au Mal... Et les principes victoriens n'aident pas.
(Petit exercice de rédaction : "Vous êtes Lady Eva, vous avez, quoi, 15-16 ans et vous écrivez une lettre à votre amoureux sans le sou. Contrainte : Quelques années plus tard, votre futur mari le comte, un peu à cheval sur ses principes vertueux, ne doit pas pouvoir supporter une ligne de votre correspondance et annuler par conséquent les festivités nuptiales. Bon courage."

)
Bon, dans le film, l'image du Serpent dans le Paradis de la noblesse de l'époque est très bien décrite. Nous avons Appledore (Apple ! Le fruit défenduuuuuu !), le doux foyer de CAM, qui est cerné de hauts murs, tout comme le Paradis interdit. Le jardin d'hiver de CAM est une jungle luxuriante de plantes exotiques au parfum exquis (Holmes en sniffe une et trouve ça "divin"). CAM a deux chats et, comme me l'a dit un collègue au boulot qui n'aime pas les chats : les chats, c'est fourbes !

ça colle bien à CAM (même si les chats sont pas fourbes du tout, n'est-ce pas

). Holmes et Watson visitent le zoo et passent devant deux serpents en terrarium. Bref, CAM est le Tentateur qui met le doigt sur les péchés des protagonistes à l'apparence pure et vertueuse : le colonel valeureux et fringant, Lady Swinstead semblant digne de son excellent mari et la petite colombe Eva Blackwell image de la fiancée parfaite qui somnole encore dans ses vieilles poupées.
Un super méchant très bien joué par Robert Hardy et qui colle bien aux gravures de Paget et à la psychologie décrite par Doyle. Ce personnage transpire le venin et semble hors de portée de Holmes.
En effet, même dans l'antre holmésien, même au 221B, CAM s'en sort tranquillou et part en lançant à Holmes un vilain regard moqueur. Le Malin.
La corruption Milvertonienne transpire même sur Holmes qui, à la fin, admet qu'il n'est pas fier de son comportement et qu'il préfère que Watson n'écrive pas l'histoire. En effet, dans l'épisode, Holmes ment et brise le coeur d'une naïve et blanche oie (pour moi, Holmes a joué la comédie de A à Z), il s'introduit illégalement dans une propriété privée, vole, n'intervient pas quand Lady Swinstead prend le risque de ternir sa réputation en tuant et risquant de se faire prendre (celle-ci, auparavant, a d'ailleurs sous-entendu à Holmes qu'il ferait bien de tuer carrément CAM. Holmes en reste songeur...). Et son orgueil en prend un coup quand il se rend compte que le buste de Minerve, qu'il a acheté un bras et brisé, ne cachait rien de suspect. A un moment, Holmes se plaint même qu'il y a des factures à payer (matérialisme, appât du gain !!!!!)..
Et, finalement, Holmes ne résout rien. Certes, il brûle les lettres stockées dans le coffre. Mais une fois CAM mort, la police aurait redonné celles-ci à leurs propriétaires respectifs, je pense.
Bref, c'est pas très glorieux mais je trouve ça très humanisant. Holmes n'est pas toujours un "super héros", c'est juste un "héros" et, dans les mythes et légendes, tout héros a sa part sombre. Après tout, l’héroïsme, c'est aussi savoir faire avec son côté obscur. Et un être parfait n'a pas de mérite en fin de compte.
Par ailleurs, dans le film, Watson s'oppose fortement au cambriolage. A deux doigts de l'engueulade, Holmes arrive à le convaincre, mais bon. Lors de l'effraction, Watson n'est pas serein et stresse un peu je trouve. Ce qui est d'ailleurs très différent dans la nouvelle où il est plutôt content de sentir l'adrénaline monter en lui.
Dans la nouvelle, on assiste juste à l'incapacité de Holmes à empêcher CAM de nuire, mais le ton reste positif et l'image holmésienne idéale reste intacte.
Elle se finit simplement sur la bonne blague faite à Lestrade lorsque celui-ci raconte le cambriolage et décrit les voleurs, dont un qui pouvait (souligne Holmes) correspondre à Watson, haha !
Dans la nouvelle, il n'y a pas non plus les aspects dramatiques de l'épisode : le suicide du colonel (à noter comment son ex fiancée tourne rapidos la page. La superficialité du mariage dans ces strates élevées où seule la bonne réputation compte... Le valet du colonel, tout en pudeur, est bien plus aimable et attentionné) et la mort du mari de Lady Swinstead (et l'alcoolisme de celle-ci ? Le verre de vin qui se brise... la perte de la raison ? Intéressant.)
C'est vraiment un film complexe et passionnant.

Ah oui, mention spéciale au moment où Holmes annonce à Watson qu'il est fiancé.
Dans la nouvelle, Watson est vraiment, vivement, étonné.
Dans le film, il reste ultra flegmatique...ultra british..